LA GRANDE GUERRE 1914-1918

 

Calenfrier des postes retrouvé au fond d'un tiroir...

 

VITRAC À CETTE EPOQUE

Source : Archives départementales 16:  Géographie historique et communale de la Charente 1914-1917 par J. Martin - Buchey

COMMUNE DE VITRAC-ST- VINCENT

Superficie = 2207 ha18 ; Population = 986 habitants

 

"La commune de Vitrac Saint Vincent est une des plus importantes du canton ; elle tient le troisième rang comme superficie et le cinquième comme population.

Deux affluents de la Bonnieure, le Rivaillon et le Maine-Goidon* la parcourent du sud-est à l'ouest, coulant dans deux vallées parallèles et séparées par un étroit plateau. Tout le nord de la commune comprend un plateau élevé, qui sépare la vallée de la Bonnieure de celle de son affluent, le Rivaillon. La chaîne de collines, qui court  au sud, appartient à la ligne de partage entre les bassins de la Bonnieure et de la Tardoire.

L'agriculture est prospère : l'élevage du bétail y tient le premier rang et la surface consacrée aux pâturages dépasse la moitié de la superficie totale de la commune. Quelques bois sont répandus, principalement dans l'est. Parmi les grands domaines, nous pouvons citer tout particulièrement ceux de MM.  De James, Horric de la Motte Saint Genis ; et Saulnier. L’industrie est représentée par une belle minoterie appartenant à M. Michel.

La commune de Vitrac ne possède pas de ligne de chemin de fer : la station la plus proche est celle de Chasseneuil, à quatre kilomètres du bourg de Vitrac. La principale voie de communication est la route de Chasseneuil à Montemboeuf (chemin de grande communication n°27 de Chef-Boutonne à Sauvagnac) , qui parcourt toute la commune de l’ouest à l’est et qui dessert le bourg de Vitrac. Il s’en détache un chemin d’intérêt commun qui unit ce bourg à la ville de La Rochefoucauld. Un autre chemin d’intérêt commun parcourt tout le plateau qui sépare le Rivaillon du Maine – Goidon.

Le bourg de Vitrac (136 hab.), à sept kilomètres nord–ouest de Montemboeuf et trente-cinq kilomètres de Confolens, est construit près du Rivaillon. Son église d’origine  romane, a subi de nombreuses modifications. C’était autrefois le siège d’un prieuré régulier, membre de l’abbaye de Saint-Maixent. Conventuel à l’origine, ce prieuré subsista jusqu’à la fin du quinzième siècle. Dès l’année 1580 le logis prieural tombait en ruines.

Le bourg de Vitrac possède un bureau de poste et est le siège d’une perception.

A Saint-Vincent (32 hab.) subsiste encore un vieux château, qui appartient aujourd’hui à M. le  marquis Horric de la Motte St Genis. Ce fut cependant longtemps la propriété des familles De James et de la Forterie.

Parmi les principaux hameaux nous pouvons citer Villeboeuf  (66 hab.), sur la route de La Rochefoucauld ; Le Breuil (60 hab.), dans l’est de la commune ; Le Grand Jauniat (66 hab.), sur la route de Mazerolles ; La Maison-Neuve (51 hab.), dans le sud de la commune ; La grange (41 hab.) ; Margnac (16 hab.), dans le nord ; Chez Galardon** (36 hab.), près du bourg ; La Vallade (31 hab.), dans le sud-ouest ; Les Marchais 23 hab.) ; Forge (19 hab.) ; Chez Fouquet (26 hab.), hameau près duquel se voient les restes d’un ancien camp romain ; Le Petit Jauniat (29 hab.), près de la route de Montemboeuf ; La Brande (23 hab.) sur la route de Chasseneuil etc., etc."

*aujourd’hui : Maine-Goidou dénommé aussi La Gane (carte IGN au 1 : 25 000ème)

** aujourd’hui : Chez Galardou

 

 

 

 

Mémoire familiale

 

Voici  des  documents rares et précieux. Mon grand oncle Alexandre Vergnaud, charron, mort pour la France le 23 août 1918 a rédigé durant les deux premiers mois du conflit un journal personnel relatant son quotidien.

Je vous invite à lire cet exceptionnel document attentivement car au-delà des lieux et des événements qu'il décrit avec précision apparaît une évolution certaine de l'état d'esprit qui anime ces combattants. La plupart, comme Alexandre, ne reviendront pas ou reviendront, comme son frère André, profondément meurtris de cette terrible guerre qui durera quatre longues années. 

 Le carnet est illustrée de photographies prises au front par Alexandre et ses camarades.

  

Alexandre Vergnaud

 

3 août 1914 : L'Allemagne déclare la guerre à la France. 
 

 

1er août 1914 : L'ordre de mobilisation vient de paraître et avec lui, mes galons de Brigadier....Grande animation au quartier Bellevue. La grillle qui est aussitôt fermée est ouverte 1 heure après, et tout le monde peut sortir en ville . Dès la journée, nous avons touché les effets de guerre.

Nous partons le lendemain pour Sillac et nous restons 6 jours pendant lesquels, on fait les préparatifs de mobilisation. Là nous touchons nos chevaux et recevons les hommes de la pièce qui est presque exclusivement composée de réservistes.

J'ai un chef de pièce* très débrouillard et très gentil. Il est de la classe 10.

*Chef de la pièce d'artillerie, responsable du groupe d'hommes affectés à la pièce.

Le 8 août, nous quittons Sillac à 1 h de l'après-midi au milieu des acclamations de la foule. Les jeunes filles nous offrent des fleurs sur tout le parcours : nos voitures sont fleuries de haut en bas.

A l'arrivée à Ruelle on nous offre, à mon chef de pièce et à moi, à chacun un beau bouquet. Nous sommes tous très émus...

A Ruelle, embarquement et départ à 7 heures. La nuit tombe et on essaye de prendre une bonne place pour la nuit mais ce n'est guère possible. Je passe la 1ère nuit sous la banquette et dans une pose pas très confortable. Je finis quand même par m'endormir.

Trajet parcouru à l'aller le 9 août : Le matin arrivée à Châtellerault – Arrêt - Saint-Pierre des Corps : halte repas : j'envoie une carte postale chez moi. Chenonceaux : 5h40. Villefranche sur Cher 7h50. Vierzon : 8h50. Bourges : 11h00. Là, on nous envoie un bouquet par la portière. Il y avait même le nom de la jeune fille. Sancerre – Donzy – Entrains – Clamecy.

Là, on distribue des cigares, du vin, du café. Auxerre : Là, un encombrement de la voie nous force à rester là des heures au milieu d'une chaleur torride. Nous faisons la soupe sur la ligne de chemin de fer.

Départ le 10 à 13h30 : Laroche sur Yonne – Ervy – Bouilly Roncenay – Brienne – Montier en Der - Wassy : 2h30. Deux tamponnements ont lieu jusqu'au lendemain à 6h du matin.

11 août :  Wassy- Joinville – Pancay – Laneuville St Joire – Nançois Tronville en Barrois – Bar le Duc.

Ici, beaucoup de troupes. On nous interdit de donner à nos familles des nouvelles de la guerre. Givry en Argonne. Débarquement : Nous sommes très fatigués par la chaleur qui est tropicale.

Aussitôt, on ferme le parc pour faire boire les chevaux. Un conducteur de ma pièce attrape un coup de pied qui le rend indisponible. Engueulade du Lieutenant.

Impressions sur le voyage

Du départ à l'arrivée, dans toutes les gares, accueil chaleureux.

A toutes les haltes, on distribue du vin, des sirops. Des jeunes filles distribuent même des médailles.

Dès le 2ème jour, j'abandonne le wagon pour aller avec les chevaux. Je suis bien mieux et la nuit, je dors dans le foin.

Malgré la chaleur, il y a un entrain remarquable. Tous les hommes chantent La Marseillaise et font au revoir à toutes les

 portières. Les nuits sont un peu fraîches mais la joie de partir fait oublier les mauvais instants.

 

 

Alexandre en Argonne

11 août (suite) : Rapsécourt près Dampierre. Sentinelle tuée par des officiers allemands déguisés en officiers d'état-major français.

12 août : Les Islettes par Sainte Menehould. 20 h : temps orageux, très lourd. Beau campement sous les arbres mais il faut coucher dehors sur la mousse. Pas de paille. A 11h30, fausse alerte : on nous fait armer les révolvers. Les gens sont peu affables pour des pays frontières.

Et on commence à attendre pour les distributions. Le métier de Brigadier n'est pas bien fameux en campagne. Il faut 2 h pour distribuer les vivres mais on est content de manger de la viande fraîche.

13 août : Nous restons aux Islettes. On profite de l'occasion pour changer de linge. Nous avons un chef de section qui n'est pas mauvais garçon.

14 août : Varennes – Meuse. Cantonnement dans un champ de luzerne. Pluie. Nous couchons dans un grenier. Il faut chercher au moins deux heures pour trouver du pain. On ne trouve plus ni conserve, ni rien à acheter.

15 août : Aincreville. 17 h. Là, nous sommes très bien cantonnés et par extraordinaire, nous sommes dans des cassines* mais aussitôt on nous a fait déguerpir et on passe à Stenay pour aller à Martincourt. Pluie torrentielle. Nous sommes cantonnés tout près du canal. Espions allemands conduits à Stenay en automobile. 

*Petite maison isolée, où l'on pouvait se retrancher ou s'embusquer au cours d'un combat.

16 août : Nous trouvons un groupe d'artilleurs du 32ème qui est allé au feu. Aéroplane détruit par des mitrailleurs d'infanterie. Temps boueux. Soldats du 34ème et du 108 ème fusillés pour vol de poules.

17/18 août : Toujours à Martincourt. Nous couchons chez de vieilles gens et dans la paille, bien entendu. Pays sale et gens sales également.. Toujours prêts à partir. On nous fait changer de place. Voyons les premiers aéros* allemands.

*aéroplanes (avions)

19 août : Fausse alerte. Réveil à 2h½ et prêts à partir. C'est très ennuyeux.

20 août : Réveil brusque à 23 heures. Quittons le cantonnement à minuit par une nuit sombre. Brouillard épais. En traversant la forêt, ai failli perdre la colonne avec un caisson*.

*chariot couvert pour transporter les vivres, les munitions.

21 août : Linay (Ardenne). Tonnerre, orage toute la journée. Le canon gronde. On commence à parler des Prussiens. On veut nous faire faire la cuisine tous ensemble mais il n'y a rien à faire... Nous sommes à 8 km de la frontière belge.

22 août : Réveil à 3h. J'étais de garde et j'ai très mal dormi. Départ pour Carignan – les Deux Villes... Nous entrons en Belgique et tout le monde dit adieu à la France.

Nous arrivons à Florenville (Belgique). C'est une très belle petite ville où se trouve le quartier général.

Nous défilons devant le général Roques. Il est midi. On nous fait faire une halte. Nous mangeons notre repas froid. On sent que nous approchons de la ligne de feu.

Tout le monde achète des cigares et du tabac, choses dont nous étions privés depuis longtemps car il n'y avait pas eu de distribution. Gens très affables. Nous traversons la ville et allons comme troupe de réserve.

On nous fait nous cacher par peur des aéros qui nous surveillent constamment.

Vers 5 heures, l'on voit passer des blessés et on nous dit que ça chauffe. Enfin, vers 5h½, on nous donne ordre de partir et nous arrivons au milieu des ambulances et des blessés à la gare de Straimont.

Il est presque nuit.Après 3 contremarches*, on nous fait fermer le parc. Les chevaux n'ont rien mangé de la journée. On nous dirige vers un cantonnement qui se trouve dans une vallée.

Nous étions (je l'ai su depuis) à 2 km des Boches.

Enfin, nous couchons à Martilly. Là, il a fallu attendre la distribution à minuit et ensuite faire la cuisine pour le lendemain.

C'est là que j'ai reçu ma première lettre... Nous avons la chance d'acheter des œufs et de la bière. J'achète même des cigares et de la confiture. Enfin, je me couche sur un peu de paille à 1 heure du matin.

*Marche d'une armée, contraire à celle qu'elle paraissait vouloir faire ou à celle qu'elle a déjà faite.

23 août : Quittons Martilly à 6 heures du matin au milieu des déménagements de ces pauvres gens qui nous avaient fait si bon accueil.

Mise en batterie* mais départ à midi sans avoir tiré une seule cartouche...Ce jour là, j'ai vu plusieurs camarades, entre autres Colombier et Terrade blessés... Nous reprenons la route de Florenville avec précipitation et mettons encore en batterie après l'avoir dépassée.

Les gens partent de tous côtés pour la France... Nous aussi repartons à 4 heures au milieu des blessés et des émigrés...

Les Coloniaux et le 12ème corps ont été salement amochés surtout à Saint Médard, car ils étaient en Belgique avant nous.

Enfin, nous n'avons pas tiré un coup de canon.. Nous repassons à Carignan et couchons dans un champ après avoir dépassé Les-Deux-Villes.

Ai perdu un conducteur qu'il a fallu chercher au moins une heure. Couché sous un peuplier !

La soupe commence à ne pas être trop régulière mais les vins ne manquent pas, seulement ils arrivent tard et on les cherche avant que la soupe soit faite. Les officiers sont aussi mal que nous, d'ailleurs nous vivons ensemble.

* mettre en place les pièces d'artillerie pour qu'elles soient prêtes à être utilisées contre l'ennemi.

24 août : Alerte à 3 heures.Nous partons mettre en batterie avec grande confiance... Les chevaux commencent à être épuisés car ils ne mangent jamais de foin... Nous ouvrons le feu et recevons nous mêmes le baptême du feu, mais ce sont les batteries du 21 qui tirent sur nous. Panique : 3 fantassins blessés, Colonel tué parait-il. Nous recevons ordre de partir vers 3h½. Les obus arrivent tout près de nous. Nous sommes comme cernés.

Nous traversons un village sous une pluie d'obus et arrivons cantonner à Linay...Coucher à 11 h sous un caisson. 

 

Mise en batterie.

 

25 août : Lever à 2 h. Tout le monde fuit devant les Boches car maintenant, on ne doute plus, ils avancent. Florenville est entre leurs mains. Pauvre ville, je la plains. Nous reprenons la route de Sedan et mettons en batterie vers 2 heures. Nous sommes très exposés, surtout l'échelon*.

Comme déjeuner, un biscuit et une boîte de « singe » à 4. Canonnade le reste de la journée !

Nous sommes toujours avec beaucoup d'infanterie. Quelques fantassins nous donnent du pain, nous n'en avons pas vu depuis 2 jours. Le soir départ pour Mouzon.

Cantonnement et distribution toujours très tard.

*Les troupes étaient disposées sur plusieurs plans (échelons) de manière qu'elles puissent se soutenir et se remplacer successivement.

26 août : Depuis 2h, je commence à être sérieusement fatigué. Les nuits sont très courtes et on est mal couchés. Les chevaux aussi n'en peuvent plus.

Continuons la retraite au milieu de l'infanterie, des femmes et des enfants. Ce sont ceux-là les plus à plaindre.

Je reste en arrière avec mission pour ravitailler. Nous ne retrouvons la batterie que le soir.

Le Génie fait sauter le pont sur la Meuse. Nous passons à Yoncq et après un long détour, nous revenons au même endroit... Que de chemin fait mal à propos. Enfin nous voilà sur la Meuse et nous détruisons un poste des Boches. La Meuse est rouge de sang. Nous couchons sur les positions. Il pleut. Je suis agent de liaison et je couche dehors mon cheval à la main. Duel d'artillerie toute la nuit.

27 août : L'échelon est obligé de faire la soupe pour la batterie et il pleut tout le temps. On ne mange pas bien car on ne peut pas faire de feu. Le ravitaillement ne manque pas souvent.

Malgré notre canonnade les Allemands passent la Meuse quand même. On commande à cheval et nous partons vers la droite. Le 34ème d'artillerie fait du bon travail mais revient après avoir abandonné le canon. Les Allemands sont rejetés sur la Meuse. A 4 heures, nous cantonnons dans un champ d'avoine. Commençons la soupe mais il faut partir de suite puis nous cantonnons dans une prairie. Le canon gronde. Nous sommes fatigués, tout le monde sommeille. On fait un peu de café et on se couche sous un caisson.

 


Les caissons


28 août : Réveil à 3h½ et mise en batterie à 7 heures. Jamais on n'avait vu pareil acharnement... Une ambulance est à côté de nous et on voit beaucoup de blessés. Nous sommes tout près des Prussiens et l'on entend les coups de fusils. Nous ravitaillons tous les obus et c'est miracle comme personne n'est blessé.

Recevons renforts du 2ème Corps. Toute l'infanterie est engagée. Oh, on se défend avec énergie et je m'en rappelerai toujours. A 4 heures, nous ravitaillons les sections de munitions et repartons bien vite.

C'est la débacle, c'est la retraite !

Cette fois on ne doute plus et tout le monde est découragé. Faisons monter les fantassins sur les caissons.

Nous passons par Sommauthe, Saint-Pierremont, Oches.

Cantonnement dans une prairie. Mangeons.

A minuit, tout le monde se couche. Oh ce qu'on en voit des fantassins blessés et surtout des gradés. Voyons prisonniers Boches. C'est la bataille de Beaumont. L'infanterie a beaucoup souffert. L'artillerie a bien travaillé. Légères pertes. Les Allemands : efforts considérables pour passer la Meuse.

29 août : Lever à 3h½ sans avoir trop dormi. Toujours en arrière et recevons ordre de protéger la retraite. Nous ne faisons d'ailleurs pas autre chose.

On apprend que les Allemands sont repoussés par le 2ème Corps. Faisons demi-tour. On s'arrête manger confiture, vin bouché et champagne. Nous prenons de l'avoine dans les dépôts ainsi que des biscuits. Je reste Chef de pièce jusqu'au soir.

Prenons la route de Vouziers. Le canon gronde au loin.

Devions nous reposer mais nous restons juste une journée et une nuit.

Couchons dans une grange jusqu'à 7 heures et c'est la première fois depuis Martincourt.

Dimanche 30 août : Chaleur épouvantable. Quittons Vouziers à 3 heures. Les gens partent tous devant l'envahisseur. C'est épouvantable.

Nous cantonnons 3 km plus loin et voyons des prisonniers. La plupart sont réservistes. Bourg encombré de troupes. Achète deux lapins et du vin bouché.

Coucher à la dure.

31 août : Lever à 3h½ . Longue attente avant le départ.

Faisons le café et départ vers l'avant...

Au loin bataille, combat des Alleux. Attendons longtemps dans un champ d'avoine.

Aussitôt en position, découverts et canonnés.

L'échelon se replie et on nous bombarde encore... C'est à rien n'y comprendre. Résultat : 2 morts et 2 blessés. Réserves victimes de la batterie et ami personnel à moi, Auguste, failli être blessé. Tout le monde est triste.

Cantonnement dans une vaste prairie et coucher sans souper. Découragement momentané. Echange de servants*.

* Les deux artilleurs placés à droite et à gauche de la pièce pour la servir.

1er septembre : Alerte à 1h½ du matin. Marchons en arrière jusqu'à 9 heures en passant par Vouziers, Monthois et cantonnons à Séchault. On ne comprend plus rien mais chacun se résigne. Abreuvoir à 5 km et achète sucre et vin. Poulets rôtis et lapins. C'est la première fois qu'on est si bien. Trouvons même des haricots nouveaux. Au milieu du souper, alerte à 5h½, départ à 6 h. En route toute la nuit. Où allons nous ? On n'en sait rien et on s'inquiète.

Cantonnement à minuit jusqu'à 5 h½. Juste le temps de faire reposer les chevaux et de les faire boire.

2 septembre : Pour tout le régiment, départ à 6 heures. Parmi les fantassins, beucoup de traînards (fatigués). Restons longtemps dans une prairie et voyons descendre un aéro allemand. Contient deux officiers qui sont arrêtés. Remise en batterie à 4 heures. Canonnade furieuse puis quittons nos positions et nous retirons à Suippes.

Cantonnement : soupons à minuit et départ à 3 heures.

3 septembre : Quittons Suippes au milieu d'une grande foule. C'est la vraie retraite... Les ennemis sont tout près. Je vois Béchade, le boucher. Il fait semblant de ne pas me voir.. Traversons le camp de Châlons. Allons jusqu'à St Hilaire. Restons en batterie jusqu'à 4 heures. Départ en arrière. Traversons Châlons et arrivons à Togny à 2 heures. Hommes et chevaux exténués par 18h00 de marche au pas. Je ne tiens plus à cheval et ai failli tomber plusieurs fois dans la nuit.

4 septembre : Lever à 5 heures. Trouvons ravitaillement . Donnons de la viande aux civils. Continuons la route vers La Chaussée. Marchons encore. Restons toute la journée en batterie. Suis agent de liaison et j'ai très chaud.

Cantonnement à Ablancourt. Coucher à minuit. Trouvons vin vieux.

5 septembre : Lever à 1h½. Une heure de sommeil, ce n'est pas trop. Prenons la route de Vitry le François. Passons à Maisons en Champagne en laissant Vitry à gauche.

Restons presque toute la journée sur la route. C'est la fin de la retraite. Nous n'en serons pas fâchés car nous sommes fatigués.

Dormons toute la journée dans l'herbe et partons cantonner à quelques centaines de mètres. Coucher à 10h½.

Le corps colonial ne fait pas de miracles. Mise en batterie à 5h.

6 septembre : Lever à 3h½. Allons prendre position pour protéger le Corps Colonial. Canonnade furieuse.

Recevons ordre du Général Joffre : «  Tenir jusqu'à la nuit. »

L'espoir renaît dans nos cœurs. Je suis encore agent de liaison. Allons ravitailler sous une pluie d'obus. Pas de mal.

Batteries du 34ème amochées.

Le soir, un obus tombe sur un de mes caissons : 1 mort, deux blessés, 5 chevaux hors de combat. On ne voit plus rien dans la fumée. C'est la vraie guerre.

Grand duel d'artillerie. L'infanterie ne fait pas son devoir...Ils ont peur. La route est criblée d'obus, les arbres tous meurtris.

Gardons positions jusqu'à la nuit et allons cantonner hors d'atteinte.

Cantonnement de Saint Chéron. Mettons chevaux à la corde et soupons assez bien. Trouvons vin et œufs.

 

 
La pièce

7 septembre : Lever 2h¾. Même position que la veille et aussi dangereuse.

Reste à l'échelon. Suis aussi en danger que la veille car on tire sur nous.

Cette fois, on est contents car on ne recule plus. Ce n'est pas trop tôt. La bataille reprend, un peu moins intense qu'hier.

A la tombée de la nuit, pluie d'obus puis on n'entend plus rien.

Cantonnement à la même place que la veille. Coucher à minuit, toujours sous les caissons.

8 septembre : Lever 2h½. Au jour, changeons de position. Terrible canonnade de part et d'autre. Sommes avec 11ème Corps. Capitaine et 11 hommes blessés. Suis agent de liaison.

Plus de pain, n'avons pas vu de convoi depuis 2 jours. Mangeons cochon et volailles.

Couchons sur les positions derrière la batterie.

9 septembre : Grands mouvements de troupes : renforts probablement.

Après 10h, coups de canons. Capitaine Villalard blessé au genou. Ferme des Rivières-Henruel : Bernargeau perdu et retrouvé blessé.

Ballon* allemand très ennuyeux. Fantassins foudroyés par obus allemands.

* ballon d'observation

10 septembre : Pluie fine. Echelon dans petit bois de sapins. Beaucoup d'artillerie.

On sent coup décisif. Les obusiers tirent sur les Boches qui sont à notre droite et « obusent » la route.

Changement de position. Pas d'eau.Les chevaux passent deux jours sous la pluie et sans boire.

Me perds dans un bois mais pas longtemps.

Trouvons Allemands blessés au bas ventre. Trouve Emile Durepaire. Bataille continue de plus en plus forte. Vais ravitailler.

Sommes vus d'où résulte canonnade. 15 chevaux tués à la batterie. Les obus sifflent au-dessus de nos têtes.

Souper maigre et coucher peu moelleux.

2 hommes blessés.

11 septembre : Lever 5 heures. Distribution. Touchons vivres de deux jours.

Vais à St Chéron conduire un suspect et trouve René Lavallée blessé à la jambe.

C'est la fin de la bataille de la Marne. Recevons ordre marche en avant.

Partout, hommes et chevaux morts. Pauvres fantassins. Ils étaient nombreux. Beaucoup de blessés allemands abandonnés. Nombreux villages brûlés.

Ai perdu mon chef de pièce. Nombreux souvenirs...

Pluie toute la soirée. Un de mes caissons est embourbé. Après deux heures de travail, suis obligé de le laisser. Retrouvons la batterie à 8 heures.

Couchons sur de la paille.

 


le 105 en batterie


12 septembre : Lever à 3 heures. Continuons poursuite. Passons par Drouilly, Pringy et Soulanges. Partout dévastation. A 1 heure, repas frites. Pas de vin, pas de pain. Les Allemands ont tout mangé.

Campons dans un champ de betteraves. Couchons sur de la paille.

13 septembre : Lever à 5 heures. Soupe, café. Reprenons la poursuite. Pluie.

Passons à Herpont, brûlé. Au loin, canon. Sommes en réserve. Un peu plus loin à Auve, village brûlé également.

Prenons route de Ste Menehould. Mise en batterie St Mard sur Auve.

Dormons jusqu'à 7 heures.

14 septembre : Départ 10h½. Repassons à Auve. Pluie. Passons à La Croix en Champagne, Somme-Tourbe, Saint-Jean sur Tourbe.

Beaucoup de mal. Mauvaises routes. Chevaux fatigués.

Couchons à Ville sur Tourbe.

15 septembre : Départ à 8 heures. Cantonnement d'un jour dans un champ d'avoine. Parc de 3 régiments d'artillerie.

Retrouve chef de pièce absent depuis plusieurs jours. Voyons travaux retranchés allemands et remontons notre effectif en pioches et pelles. Beaucoup de prisonniers allemands.

 

 
La tranchée.

 

16 septembre : Route très mauvaise. Plus de cheval. Pluie et fais 10 km à pied. Ce n'est pas gai. Sommes couverts de boue.

Faisons halte, cassons la croûte.

Cantonnement à Somme-Tourbe.

17 septembre : Lever à 5 heures. Départ . Cantonnement bois de sapins. Pluie.

Effets trempés ; pas beaucoup dormi. Couché contre le feu sur des branches de pins. La plus mauvaise nuit depuis le commencement. Boue jusqu'aux chevilles.

18 septembre : Départ à 6 heures.

Manquons de ne pas démarrer. Perdons 4 chevaux et restons en arrière de la batterie avec 1 caisson. Café à Somme-Tourbe.

En passant à Suippes, ravitaillons aux docks. Arrivons à la Ferme de Joncherry à 7h.

19 septembre : Forte pluie. Mauvaise nuit sous les sapins. Départ très mauvais. Les chevaux n'en veulent plus, ils tombent comme la grêle.

Rentrons dans le camp de Châlons. Mise en batterie.

Cantonnement.

20 septembre : Lever 7 heures. Même position. Restons toute la journée.

21 septembre: Même cantonnement dans un bois de sapins. Faisons belles cabanes avec des panneaux de tir.

22 septembre : Même cantonnement tout près de Mourmelon. 7ème batterie : 2 morts.

Temps relativement beau.

23 septembre : Repas. Fourrage à Mourmelon. Vin. Aéro allemand lance des bombes sur la ville.

Beau temps.

24 septembre : Lever 6 h. Départ du cantonnement du bois de sapins. Temps superbe.

 


La pièce attelée


25 septembre : Pas de grand changement au jour précédent. Nous quittons cependant notre position d'attente dans le camp de Châlons pour mettre en batterie un peu plus en avant mais toujours dans les environs du Grand-Mourmelon.

26 septembre : Même situation. Mes hommes attrapent 10 lapins de garenne. Nous tirons à 5 000 m mais une grande bataille commence aujourd'hui. Les Français et le Allemands doivent prendre l'offensive . En réalité, peu de coups de canons.

27 septembre : Je suis toujours agent de liaison et cela commence à m'ennuyer car, je ne suis jamais à la pièce à l'heure de la soupe.

La batterie a légèrement changé de place.

Mourmelon où je vais tous les jours est encore un peu approvisionné en vin et on trouve quelques conserves.

Les habitants commencent à revenir.

28 septembre : Les dimanches passent et on ne s'en aperçoit même pas. Ce qu'il y a de bon, c'est que l'on ne s'ennuie pas. L'esprit militaire est excellent.

Nous avons un nouveau Capitaine depuis deux jours.

29 septembre : La nuit dernière, attaque de nuit à deux reprises. La batterie a tiré à 2 500 m. Insuccès de la part des Allemands. Le jour, pas de changement.

30 septembre : Ce matin, attaque à 8 heures. Le 50, le 125 et un groupe du 34 ont donné. Résultat presque nul.

Nous occupons toujours les mêmes positions et ne sommes pas encore repérés. Notre mission est d'empêcher d'avancer.

J'ai lu un journal aujourd'hui.

1er octobre : Rien de nouveau jusqu'à midi où la batterie a démoli une batterie allemande.

Le soir, nous quittons les positions.

Nous couchons à la ferme de Jonchery qui se trouve dans le camp. Couchons à l'abri.

2 octobre :

La date du jour est bien inscrite sur le carnet mais sans suite.

La page suivante reprend le 29 janvier 1915, soit quatre mois plus tard !

29 janvier : Cette nuit grande canonnade. Quelques coups sur Mourmelon. A 8 heures, duel d'artillerie.

Comme on craint une attaque boche, je suis de piquet c'est à dire prêt à partir pour aller ravitailler . Mon bras me fait cependant très mal.

Le soir, ravitaillement mais Lemoine ira à ma place.

30 janvier : Je suis de jour. L'artillerie a donné ce matin mais dans la journée : Silence.

Singot repart à la batterie ce soir. Gorneau va sans doute revenir. Je suis bien content.

Il fait un peu froid aussi, je ne vais pas bien loin du poêle.

Le journal s'arrête ici. Blessure, confiscation, censure, manque de papier...

Nous ne le saurons jamais...

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23 août 1918 : Epagny (Aisne) - Alexandre est tué au combat.

Quelques jours plus tard, mon arrière grand-père reçoit ce courrier d'un de ses neveux, Auguste Sardin sur le front également.


2 septembre 1918,

     Cher Oncle,

Il est bien pénible pour moi de vous écrire cette lettre mais il me semble que j'ai déjà trop attendu à vous faire part personnellement du malheur qui nous frappe. Car ce cher disparu n'était-il pas pour moi comme un grand frère ?

Cher oncle, si je ne vous ai pas prévenu directement ausstôt c'est pour notre pauvre tante. Je voyais si bien votre douleur surtout d'une mère. Mais puisque malheureusement vous devez apprendre la fatalité, il est mon devoir de vous donner les détails que je connais.

Ce pauvre malheureux est tombé bravement et d'une belle mort sans souffrance avec trois de ses servants à côté de la pièce.

Il a reçu 8 blessures : 7 dans le dos et celle à la tête qui a été mortelle.

Je suis vivement contrarié de n'avoir pu le voir avant son départ pour la tombe. J'étais à trois kilomètres et lorsque j'ai été prévenu, il était parti hélas !

Je me suis rendu aussitôt à la batterie où j'ai vu ses dévoués camarades. Ceux qui lui ont donné tous les meilleurs soins jusqu'au dernier moment et avec le plus grand dévouement.

Mon cher et regretté cousin est enterré sur la position même, sur les carrières d'Epagny (Aisne).

Et soyez persuadé que tout a été fait avec le plus grand soin. Toutes les affaires personnelles qui étaient sur lui ont été mises au bureau du 23ème en attendant de vous être envoyées.

Nous avons été relevés mais trop tard du secteur fatal. Après le suprême adieu à celui qui emporte dans sa tombe les éternels regrets et la pensée de tous ceux qui l'ont connu.

Je termine en associant ma douleur aux vôtres.

Votre neveu et filleul qui vous embrasse tous affectueusement

A. Sardin

J'oubliais de vous dire que c'est dans la nuit du 22 au 23 que le malheur est arrivé. C'est à dire au cours de la grande offensive de l'Aisne à la suite des bombardements par avion.

Je vous embrasse

Auguste




(Le document ci-dessous à gauche est extrait du site du ministère de la Défense Mémoire des hommes où chacun peut retrouver des informations sur les membres de sa propre famille tués au combat. )

Le précieux carnet d'Alexandre Vergnaud est revenu dans sa famille.

Je tiens à remercier très chaleureusement le neveu d'Alexandre : Fernand Denys qui, en possession de ce document me l'a fait parvenir il y a quelques semaines.

Je tiens également à remercier, tout aussi chaleureusement, la nièce d'Alexandre, ma mère Jeannine Bohère (Vergnaud) qui a retranscrit ce document (pas toujours très lisible) sur papier et qui bien entendu a réalisé ce travail avec beaucoup d'émotion.

Alain Bohère, novembre 2014

 
 

Devant le monument aux morts où est inscrit le nom de son fils Alexandre, mon arrière grand-mère Célina Kogeluk, née en 1868 et décédée en 1949 épouse d'Auguste Vergnaud accompagnée de ma mère Jeannine Vergnaud, de mes oncles Henri et Michel Vergnaud et de mon cousin, Fernand Denys.

 Ci dessous : Première photographie : Mon grand-père André Vergnaud (frère d'Alexandre) , maréchal-ferrant à Vitrac (à droite) sur le front en 1916 et qui gazé, restera hospitalisé jusqu'à la fin de 1919 avant de revenir au village.

 Seconde photographie : Mon grand-père avec la 9ème et 10ème escouade de la 3ème section de la 8ème compagnie du 98ème régiment d'infanterie le 13 mai 1916. Il reviendra

Mon grand oncle Émile Denys (Epoux de la soeur d'Alexandre), ci-dessous à gauche

La mémoire perpétuée

11-11 à 11h00 : L'Armistice est signé dans le train du Maréchal Foch près de Rethondes dans la forêt de Compiègne. Cet armistice met fin à ce que mon grand-père, André Vergnaud, gazé au front, appelait la "grande boucherie" : 9 millions de morts, 8 millions d'invalides... Tous les villages, toutes les familles, comme la nôtre, furent cruellement touchés.  

Chaque année, comme dans tous les villages de France, l'anniversaire de l'armistice est l'occasion d'une cérémonie  reconnaissante et émouvante à Vitrac Saint Vincent qui a vu périr 34  de ses jeunes hommes, de ses jeunes pères de famille dans les terribles combats de cette première guerre mondiale. D'autres en sont revenus diminués, mutilés pensant vainement qu'une telle folie humaine ne pourrait se reproduire et qu'ils avaient vécu là, la der des ders ... Ce ne fut pas le cas. La folie et l'horreur n'ont pas de limites.

Jeunes Vitracois morts pour la France.

 

Après la cérémonie les Vitracois sont conviés depuis plusieurs années à visiter l'exposition préparée par M. Jean Blanchon  qui a collecté un nombre très important de documents, d'objets rares et précieux de la grande guerre.

Voir

Pour finir, je vous invite à écouter et voir cette version de La chanson de Craonne, chant de révolte des soldats français pendant la première guerre mondiale (auteur inconnu publiée par Paul Vaillant Couturier et chantée par Marc Ogeret)

 

" On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels. " Anatole France
 

 

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